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Aux Amants de la truie
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Aux Amants de la truie
8 mars 2008

Something wicca this way comes...

-Tu vas aller vers la lune nouvelle, mais prends garde : l'heure est plus longue que tu ne penses. L'heure ne nous obéit pas. Il faut la traverser avec patience. Si tu cours, le temps qu'elle contient s'enfuira, et tu ne le retrouveras plus jamais. Ni toi-même.
    Je voulais comprendre. Je comprenais. Je me voyais comprendre. La forme blanche de la suivante était allongée à une cinquantaine de mètres devant moi, au bout de la double rangée d'hommes et de femmes. Mon sort ne me posait plus aucun problème : je franchirais le temps.
    Un premier pas me porta en avant; aussitôt, de chaque coté, les verges me cinglèrent. Mon corps se crispa, voulut bondir : je le retins et fis un autre pas. Les coups reprirent. Je voyais les deux longues haies de geste sans visage entre lesquels l'air se brouillait. Et, pas à pas, j'avançais dans ce brouillard sifflant. Les verges flexibles épousaient à chaque coup mes courbes et y allumaient de longues brûlures. Une sueur froide dégoulinait pourtant le long de mon dos. Bizarrement je ne voyais plus rien car mon regard, qui venait d'éclater vers l'intérieur, faisait de mon corps une large traînée d'or au bout de laquelle mon sexe était épanoui : toute ma faculté de voir bandait royalement au-dessus de mes couilles gonflées; et je portais cela devant moi, je le portait triomphalement sous les coups de baguettes qui, de plus en plus précis, mordaient ma chair autour du membre raide, et parfois l'enflammaient d'un coup sec.
Ce bras terrible, qui émergeait de moi, me tirait en avant avec une force irrésistible et sûre. Alors, tandis que mon sang commençait de couler en épaisses rigoles, je vis mon regard intérieur se gainer de rouge - d'épais nuages rouges, et la terre trembla, et je sentis la nudité de mes os.
    Dans un éclair, il me sembla que la distance à parcourir touchait à sa fin, mais les coups redoublèrent, et je ne sus plus rien. J'essayai de remonter dans ma tête; j'essayai de fixer en moi une image précise, mais on aurait dit que mon corps perdait, et que ma vie entière s'enfuyait. Je me souviens. Un matin d'enfance a coulé soudain dans ma gorge. L'odeur de l'herbe m'a saoulé, une seconde, et le piaillement d'un moineau que j'élevais en cachette dans le grenier. Et puis, les coups ont cueilli tout cela, et il n'est resté que la douleur - la douleur de savoir que je n'en finissais pas de finir : plaie toujours vive mais avivée encore par les coups ailleurs que sous leur directe blessure.
    Et puis, très brusquement, tout changea, car je me souvins que, d'avance, j'avais accepté ce qui m'arrivait _ et tout ce qui pouvait m'arriver. Alors, j'allai au-devant des coups avec la volonté d'épuiser le possible, et le feu qu'ils allumaient sur ma peau, j'en fis ma force. Et tout flamba, car j'étais rompu de partout : mes fesses, mon ventre, ma poitrine étaient rongés, pénétrés, fouillés. Je n'avais plus de peau. J'étais porté au bout de moi-même. J'assistais à ma fin, puisqu'il fallait que, moi aussi, je devienne nouveau. Ce qui me brisait me remodelait, et la douleur se métamorphosait en amour. J'aimais, jamais la nuit nouvelle et la lune montante et le tressaillement de mon grand arbre d'os. Sur lui, comme un lierre tout blanc, mes nerfs tremblaient au souffle de la chasseresse, dont je savais maintenant la présence toute proche. A l'instant où la flamme se renversa, l'autre flamme s'alluma, et la mort me rouvrit les yeux.
    Il y avait un silence palpable. Il y avait devant moi la lune vierge, dont la pâleur marquée de noir s'écartelait. La flûte cria; mon souffle retrouva son assise. Mon sexe se tendit vers la cible, que l'ombre de la toison rendait pareille à l'âme de la nuit, et malgré moi je hurlai, car l'axe du monde à cet instant me traversa.
    Un bond, alors me jeta vers la lune nouvelle. Mon sexe se baigna dans l'humidité de ses lèvres, mes mains prirent ses seins, ma bouche sa bouche, et nous commençâmes de tomber à travers la nuit, cependant que mon pilier de chair recevait un hommage de sang vierge, qui fuma de mes couilles. Mon sexe, ayant forcé l'entrée courait entre les parois palpitantes pour atteindre le fond de la gaine douce. On faisait cercle autour de nous; on était suspendu au rythme de notre souffle. Peau à peau, j'adhérais à la lune nouvelle, la fécondais du terreau brunâtre de mes blessures tandis que son sang neuf huilait notre rencontre. De temps à autre, je retirais mon sexe rouge pour qu'on le voie saillir entre nos jambes, puis se précipiter, ressortir et se précipiter encore. La nuit, où nous coulions, accrochait à nos os des mystères que le vent de notre course suffisait à résoudre. Il y eut comme un trou d'air, une chute dans la chute, mais à cet instant, je sentis qu'on m'enlevait : des mains m'avaient saisi aux épaules et aux jambes, et je fus arraché. Enfin, on me retourna, et soulevé à bout de bras, je vis le ciel contre moi et le lait de ma semence y jaillit, si bien que la lune nouvelle put glisser vers le sommet de la nuit et y ouvrir un trou doré.
    - Matopecado, cria la foule.

Extrait du singulier "Le château de Cène" de Bernard Noël, éd. Gallimard.

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