Les Ombres errantes
In omnibus requiem quaesivi et nusquam inveni nisi in angulo cum libro. (J'ai cherché dans tout l'univers le repos et je ne l'ai trouvé nulle part ailleurs que dans un coin avec un livre.)
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Le refus de l'appartenance sociale fut condamnable aux yeux de tous les groupes humains. Cette condamnation est le fond de chaque mythe. Comme la passion amoureuse l'échange codifié et hiérarchisé entre les membres du groupe pour assurer sa reproduction.
Homère disait : Un individu apolis est une guerre civile.
Le vieil aède entend par là que tout homme sans cité est une graine de guerre civile.
Hérodote a écrit : Aucun individu humain isolé ne peut se suffire.
Mot à mot : Ne peut être autarkes.
La Bible dit : Malheur à l'homme seul ! Un homme seul est un homme mort.
Mais c'est faux. C'est toujours ce que la société dit. Dans toute la littérature orale le narrateur est la société. Tous les mythes déclarent partout sur terre : Il n'y a pas d'amour heureux, afin de préserver les échanges de clan à clan et les alliances généalogiques.
Car il y eut des amants interdits qui connurent le bonheur.
Car il y eut des hommes seuls, des ermites, des errants, des périphériques, des chamans, des centrifuges, des solitaires qui furent les plus heureux des êtres.
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Après s'être présenté, Wen Bigu murmure à Xen Qing :
-Quand je suis las parfois d'errer dans la forêt des pinceaux et parmi les ruisselets des encres, je pose le chapeau carré, je quitte l'odeur des vieux livres. Ma main s'insinue sous le pantalon de soie. Je ferme les yeux. Les larmes du dieu jaillissent. J'approche mes narines. Voilà la vie que je mène.
Pascal Quignard.